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LETTRE À MON TROUBLE ALIMENTAIRE

Par Audrey Smith

 

Cher Ed,

C’est ainsi que je te nommerai.


Voilà dix ans déjà que je vis dans ton ombre. Dix longues années que tu abuses de moi, à chaque occasion. J’existe chaque seconde dans la peur du moment où tu t’éveilleras pour me faire du mal. Où tu me forceras à faire ces choses qui ne me plaisent pas. Tu passes ton temps à me rabaisser, à m’humilier et à me contrôler. Je me demandes souvent même si ce n’est pas ta seule utilité. Cette dernière décennie passée à tes côtés aura été des plus tourmentées. Je ne comprends toujours pas comment tu as pû avoir cette emprise sur moi, pourquoi je ne me suis pas enfuie en courant bien avant maintenant. 

Puis, je me suis souvenue pourquoi je suis tombée amoureuse de toi, Ed. Je me rappelles encore du tout premier regard que nous nous sommes échangés dans le corridor entre les périodes de mes cours de français et d’histoire. Un frisson avait alors parcouru tout mon corps. Tu m’as intrigué au premier abord. Je me suis laissé séduire par tes belles promesses. Tu me disais qu’avec toi, tout irait mieux. Que dans tes yeux, je deviendrais la plus belle, la plus gentille et la plus intelligente. Tes mots m’ont envoûtés, j’ai senti qu’avec toi, je deviendrais quelqu’un et que je serais enfin en sécurité. À l’abris de toute méchanceté. 

Je me suis laissée bercer par toutes les belles émotions que tu me faisais ressentir. Avec toi, j’étais forte, fière et confiante. Et grâce à toi, je me sentais invincible et en contrôle. Personne ne pourra jamais comprendre ce lien si spécial qui nous unissait. 

C’est vrai Ed, tu m’as beaucoup appris. Tu m’as enseigné la persévérance et la détermination. Tu m’as convaincu que si je travaillais très très fort, je pourrais obtenir tout ce que je désirais dans la vie. Tu as fait de moi une personne particulièrement organisée en me montrant la discipline. Je te serais peut-être un jour, presque reconnaissante pour tout ce que tu as su m’apporter de bien dans ma vie. 

Mais je suis désolée Ed, si pour l’instant, tout ce que je peux faire, c’est te détester. J’en suis encore à cette étape dans mon processus de guérison. J’espère qu’un jour, j’aurai la force de te pardonner pour tout ce mal que tu m’auras fait endurer. 

Car au-delà des apprentissages, je n’oublie pas que tu as surtout gâché dix ans de ma vie. 
J’ai effectivement été soumise à toi durant beaucoup trop de temps. Tu as saboté plusieurs de mes relations. Tu as fait de moi une personne hostile qui en a blessé d’autres par peur d’être moi-même blessée. Tu m’as aussi souvent empêché de me faire des amis. Tu refusais que je participe à des événements et tu ne voulais jamais que j’ai du plaisir dans quoi que ce soit. Tu m’obligeais à demeurer seule à la maison avec toi et à me cacher dans l’obscurité. À force de m’isoler, plusieurs personnes que j’estimais beaucoup ont commencé à croire que j’étais superficielle et coincée. J’aurais tant aimé leur expliquer mais tu ne m’as jamais laissé l’opportunité de le faire. Tu m’as même fait croire trop de fois que la vie n’était pas faite pour moi. 

Et puis, je t’écoutais. Je t’obéissais, au doigt et à l’oeil. J’ai fait tout ce que tu m’as toujours demandé de faire, car je croyais en toi. Comme si tu savais mieux que moi-même ce qui était bien pour moi. 

Aujourd’hui, à ma grande surprise, tu m’enseignes encore, l’une des plus grandes leçons qu’il m’aura été d’apprendre jusqu’à ce jour. Tu m’inspire à être courageuse, en te dénonçant, mais surtout, en me libérant de toi. Entre autre, en demandant de l’aide pour me libérer de ton emprise sur moi. En rompant les chaînes des nombreuses années de complicité toxique que nous avons partagé. Tranquillement Ed, je romps avec toi car je me choisis et je décide d’aller mieux.

Aujourd’hui Ed, je renonce à nous. Je renonce aux bleus partout, aux marques sur mon visage, à l’isolement et à la violence psychologique. Je dis « non » à tes jugements constants, à ta rigidité, à tes conditions. Je te quitte pour de bon. Pour cette fois-ci apprendre à m’offrir l’amour, sans avoir besoin de toi ni de ton approbation. Je sais que rien ne sera parfait, que ce sera le travail de toute une vie de pacifier mes rapports avec toi. Il y aura des hauts et des bas. Il me faudra être forte, mais je serai bien outillée pour apprendre à te repousser. 

Saches toutefois que tu feras toujours partie de moi et de mon histoire. 
Tu seras pour toujours ce qui a principalement forgé la personne que je suis aujourd’hui: mes expériences, mes choix, mon caractère. 
 Même si je ne m’associe plus à toi, tu auras fait de moi, la femme que je suis désormais et celle que je deviendrai. 
 

- Audrey